Elle durera cette danse
© NYPL Digital Collection
À l’origine du projet de chanson J’ai 30 ans se trouve ce texte original, qui retrace la naissance et l’affirmation d’un désir féminin, de 8 à 30 ans.
Il met en lumière le trouble qui peut nous habiter durant cette période, et invite à se (re)plonger dans nos émois passés, pour les regarder avec tendresse, humour et recul.
J’ai 8 ans et pour la première fois, ton contact me fout les poils
Fille-attrape-garçon : on joue, on se touche, on se sent
Cet après-midi, c’est toi qui me poursuis, je te fuis, accélère, ralentis
Des électrons s’excitent au bout des doigts. Un éclair. Arc électrique
La sonnerie retentit déjà. C’est long d’attendre jusqu’à la prochaine fois
J’ai 12 ans, t’en as quelques uns de plus que moi
Je m’agrippe à ton épaule, en équilibre fragile sur un monocycle
Profitant de la proximité de ton corps d’adolescent
Tu fais du diabolo, tu jongles, tu fais le beau
Mais t’es pas là quand on joue à la bouteille, alors à quoi bon ?
J’ai 14 ans et tu remplis mon imaginaire
À la télé, dans mes CD, sur les posters
Ton image est tout à moi je la caresse du bout des doigts
Virtuelle intimité, aucune timidité
Enrobée de ta présence je m’endors en rêvant
Que tu m'emmèneras en tournée, que tu me trouveras belle
Que tu chanteras pour moi, me diras que tu m’aimes
Scénarios clichés mille fois vus au cinéma
Avec ton sourire, ton torse lisse, tes abdos
Au final tu m’auras jamais vue mais moi putain j’t’aurai trouvé beau
J’ai 16 ans et tu te rapproches d’abord en équipe
Dès le début du voyage ta bande est jamais loin d’ma clique
Dans les couloirs de l'hôtel tes regards sont tout sauf accidentels
Pas une fois je me demande si tu me plais vraiment
Je sens que tu m’as choisie et en fait ça m’suffit
Ton arme fatale : deux non allez trois sprays du Mâle de Jean-Paul Gaultier
Ton parfum fait mouche faut croire que j’suis pas si farouche
Quand tu glisses ton ombre dans ma chambre et ta langue dans ma bouche
Depuis ton image s’est estompée mais ton odeur reste imprimée
Il suffit qu’au détour d’une ruelle cet inconnu me la rappelle
J’ai 18 ans et tu es tout ce qu’il y a de plus beau
On se connaît, on se plaît
Ton intérêt panse mes fissures de jeune femme insécure
Je n’ai fait ça que quelques fois
Je ne comprends pas que je suis ta proie
J’adore voir que tu me désires
Que je ferai partie de tes exploits
Mon seul plaisir c’est de te voir jouir
On s’en fout que je ne vienne pas
D’ailleurs t’ignores que c’est pas le cas
Et personne ne le saura
J’ai 22 ans et ta présence est mon refuge
Tes bras m’accueillent au retour d’une nuit agitée
On se découvre, on observe ces gestes pratiqués en solitaire
Maintes fois répétés et maintenant partagés
Seuls nos regards se touchent alors que nos mains s’affairent
On joue aussi à être autre, à endosser des peaux nouvelles
Tu peins tes ongles, tes oreilles s’ornent de perle
L’équilibre entre toi et moi est éphémère
Celui entre moi et moi-même ne fait qu’éclore
J’ai 26 ans et eu beaucoup d’amants
Mais vous ne durez jamais très longtemps
On se croise dans des soirées
C’est moi qui décide de vous chopper
Tous vos corps côtoyés et choyés, si différents
Avec leurs défauts deviennent excitants
Dure ou molle, pas de raison qu’on s’affole
Quoi qu’il arrive, s’autoriser à en rire
On sait ce qu’on aime et on tente de se le dire
Renverser les scénarios, réécrire les désirs
J’ai 30 ans et tu te déshabilles lentement
Une fois chez toi, deux fois chez moi, sans engagement
Tu me guides jusqu’au lit, appliqué à cacher ta fébrilité
La mienne demeure tapie mais disposée à se montrer
Tu t’exposes à moi nu(e), des cicatrices dans chaque sourire
Je t’embrasse du cou aux fesses, accueille tes faiblesses
Tes failles sont nourricières et ton corps se laisse faire
T’as abandonné l’idée de tout miser sur la performance
Tous les deux on sait qu’elle durera, pourtant, cette danse